Dans le Brésil de Bolsonaro, l’invasion du Capitole a été perçue comme un avertissement pour le futur.
Le monde a été horrifié lorsqu’une foule a envahi le Capitole américain mercredi, mettant un pays considéré comme la démocratie la plus ancienne, la plus forte et la plus exceptionnelle de la planète, au point de succomber aux caprices autoritaires du président Donald Trump et de ses partisans les plus radicaux
Mais au Brésil, peut-être plus qu’ailleurs, les émeutes du Capitole semblaient être un avertissement d’un avenir pas si lointain.
Depuis sa victoire aux élections de 2018, le président d’extrême droite brésilien Jair Bolsonaro a lancé une attaque généralisée contre les institutions démocratiques du pays, discréditant son système électoral et important de nombreuses théories de conspiration électorale que Trump et le Parti Républicain ont favorisées au cours des six derniers mois.
Les provocations de Trump ont abouti au choc de mercredi à Washington, qui a déclenché l’alarme dans le Brésil de Bolsonaro, comme s’il venait d’être un signe avant-coureur.
«Attaque contre la démocratie», la première page du journal Estado de São Paulo, l’un des journaux les plus diffusés au Brésil, en a fait écho, jeudi matin, en caractères gras et en majuscules, en traitant ces informations venues d’ailleurs comme un avertissement pour que les Brésiliens prêtent attention au danger qui pèse sur leur propre république.
D’autres étaient plus directs.
“Pour le Brésil, c’est un avertissement sur le pire qui puisse arriver ici, si l’autoritarisme de Bolsonaro et de ses milices ne sont pas contenus, si les violations de la liberté et des droits continuent d’être tolérées” a écrit sur Twittere le président de gauche Lula da Silva, qui a défié Bolsonaro aux élections de 2018, mais fut empêché de se présenter de se présenter.
Alessandro Molon, membre de l’opposition à la Chambre des députés brésilienne, a tweeté que les émeutes aux États-Unis ont prouvé que “même la démocratie la plus stable du monde ne survit pas en toute impunité au populisme de droite!”
“C’est pourquoi il est si important de se rassembler: nous devons nous protéger et éviter le pire en 2022!” a averti Molon, tandis que le gouverneur de l’État de São Paulo, João Doria, ancien allié de Bolsonaro qui pourrait se présenter contre lui aux élections de l’année prochaine, a qualifié l’événement “d’alerte pour le Brésil, où une minorité flirte avec l’autoritarisme et le fanatisme tente d’affaiblir les institutions et de menacer l’État de droit.“
Pendant plus de deux mois, alors que Trump diffusait ses allégations absurdes de fraude électorale et de vol ou de disparition de votes, Bolsonaro est resté l’un de ses seuls alliés internationaux dans cette lutte. Il a été l’un des derniers dirigeants mondiaux à reconnaître la victoire de Joe Biden en novembre et semble toujours déterminé à prétendre que Trump ne va pas quitter la Maison Blanche.
Ce n’est pas une nouvelle “cause célèbre” pour les Brésiliens. Bolsonaro, comme Trump, a divulgué de prétendus complots concernant les élections de 2018, alléguant ouvertement une fraude dans la course présidentielle qu’il a lui-même remportée. Et il n’a pas arrêté depuis. Bien que les nombreuses autres menaces flagrantes contre les institutions démocratiques et la destruction de la forêt amazonienne pendant son gouvernement aient été mieux perçus par la communauté internationale, Bolsonaro a passé les deux dernières années à essayer de saper le système électoral brésilien, et les deux derniers mois à utiliser Trump et les États. Unis comme raison d’augmenter leurs attaques.
Tout comme de nombreux Brésiliens ont cité Trump comme un exemple des horreurs que Bolsonaro pourrait apporter à sa propre nation, Bolsonaro a signalé que les problèmes qui existent dans l’esprit de Trump et de certains républicains aux États-Unis prendront bientôt leur chemin vers le Brésil.
Jeudi, il a exhorté le Brésil à changer les urnes électroniques, qui permettent un dépouillement rapide et fiable, contre des bulletins de vote papier – une décision qui, selon certains, pourrait alimenter le genre de théories du complot qui prétendaient sans fondement que voter par courrier était liée à une fraude généralisée aux États-Unis.
“Il y avait des gens qui ont voté trois, quatre fois et des morts qui ont voté”, a déclaré Bolsonaro à une foule de partisans jeudi matin, selon la Folha de S. Paulo, le plus grand journal du Brésil. “Et ici au Brésil, si nous avons le vote électronique en 2022, ce sera la même chose. Nous allons avoir un problème pire que les États-Unis.”
Cela ne s’est pas produit aux États-Unis, et il est peu probable que cela se produise au Brésil, où le système de vote est beaucoup plus efficace et précis que tout autre aux États-Unis. Mais cela n’a pas d’importance pour Bolsonaro. Le but est de trouver des preuves minuscules pour soutenir les théories du complot fou.
De telles observations seraient dangereusement antidémocratiques en temps normal, mais tout sentiment de normalité a cessé d’exister aux États-Unis et au Brésil il y a des années. En 2016, des dizaines de Brésiliens de droite furieux ont contourné la sécurité et ont pris d’assaut le bâtiment du Congrès national du pays pour appeler à un coup d’État militaire. Une petite démonstration qui, cependant, a offert une indication du mécontentement qui allait plus tard amener Bolsonaro au pouvoir et anticipait le pire à venir. Plus récemment, Bolsonaro a alimenté des manifestations similaires, qui semblent être des précurseurs directs du type d’insurrection qui a eu lieu à Washington.
Au cours des deux premières années de sa présidence, les partisans les plus radicaux de Bolsonaro ont appelé à la fermeture du Congrès national et de la Cour suprême, et l’année dernière, une poignée de militants ont été arrêtés après avoir tiré des feux d’artifice imitant un attentat à la bombe dans le bâtiment du Tribunal Suprême. Bolsonaro ne soutient pas toujours le pire, mais il est toujours là pour susciter la ferveur de ses partisans.
L’instinct de Trump l’amène également à chauffer sa base lorsque les temps sont durs. Et les émeutes, qui ont éclaté peu de temps après que Trump ait explicitement dit à ses partisans d’aller au Capitole, ont offert aux Brésiliens un exemple évident de la façon dont ces troubles pourraient éclater en un soulèvement général, a déclaré Bruno Boghossian, chroniqueur politique pour la Folha de S.Paul.
“Si nous ne regardons que du point de vue des troubles politiques, il semble que [Bolsonaro] essaie simplement d’obtenir plus de soutien et de mettre ces gens en colère afin qu’ils puissent le soutenir avec encore plus de passion”, a déclaré Boghossian. “Mais quand Trump fait vraiment quelque chose de concret, alors nous voyons de quoi Bolsonaro est capable.”
Dès le début, le souci au Brésil c’était que Bolsonaro était une version plus dangereuse de Trump, une force qui offrirait une épreuve beaucoup plus difficile pour des institutions plus jeunes et moins consolidées. Trump et le Parti républicain ont finalement prouvé que les institutions américaines étaient plus faibles que ce que beaucoup pensaient initialement, mais en fin de compte, les élections du pays, le pouvoir judiciaire qui les supervise et le Congrès chargé de les certifier semblent avoir prévalu. – même si ce n’est que temporairement.
À leur tour, les institutions brésiliennes ont finalement mieux résisté que beaucoup ne le pensaient, de mêm que les failles au Congrès, où Bolsonaro ne bénéficie pas du soutien d’un parti consolidé comme Trump avec les républicains, ce qui peut aider à protéger le pays d’une catastrophe totale.
Mais il n’est pas clair non plus, a déclaré Boghossian, que d’autres institutions, y compris les rangs inférieurs de l’armée et de la justice, resteront fermes si Bolsonaro réussit à susciter un conflit généralisé.
“Aux États-Unis, il y a eu des objections de la part des militaires, des membres du Congrès du Parti républicain, des autorités électorales du Parti républicain dans les États et du vice-président”, a déclaré Boghossian. “Je ne sais pas si Bolsonaro s’opposera à toutes ces institutions au Brésil. Les freins et contrepoids, les institutions démocratiques et toutes les autorités impliquées dans le processus politique ne seront peut-être pas aussi sévères envers Bolsonaro que les autorités américaines l’étaient envers Trump.”
Il existe des différences subtiles entre le Brésil et les États-Unis dont les comparaisons hâtives, faites entre Trump et Bolsonaro, ont souvent laissées dans l’ombre. Toutefois il est indéniable que l’élection de Trump en 2016 était un aperçu de ce qui allait suivre au Brésil deux ans plus tard. Le Brésil n’a pas appris les leçons offertes par son voisin du nord à l’époque. Mais cette fois, vous avez toujours la possibilité d’entendre les avertissements avant qu’il ne soit trop tard.
“Le Brésil doit apprendre beaucoup des terribles événements d’hier à Washington”, a écrit jeudi Miriam Leitão, chroniqueuse au journal O Globo à Rio de Janeiro. “C’est exactement le plan du président Bolsonaro, c’est pourquoi il alimente les théories du complot sur les machines à voter électroniques, les lois électorales du pays et la [Cour suprême] depuis 2018. Il prévoit de reconstituer ce que nous avons vu hier à Washington.”
“Le Brésil doit prendre au sérieux tout ce qui s’est passé hier”, a poursuivi Leitão. “Un président qui ment depuis des années et sabote les bases de la République, utilisera un jour ses pouvoirs contre le pays. Nous devons renforcer les défenses de la démocratie brésilienne.”
HuffPost | Traduit par Francis Gast