Lula : “Sans démocratie, nous n’irons nulle part”
En janvier 2020, les rédacteurs de Brasil Wire, Daniel Hunt et Brian Mier, en partenariat avec Michael Brooks, présentateur du Michael Brooks Show, ont interviewé l’ancien président brésilien Luiz Inácio Lula da Silva au siège du parti des Travailleurs à São Paulo. Cet entretien est le résultat d’une démarche de six mois, qui a commencé par une requête au tribunal de Curitiba pour l’interviewer, alors qu’il était encore prisonnier politique. Lula a été arrêté après une opération judiciaire partisane que des fuites de conversations privées, dans une application de réseau social, ont démontré qu’elle était planifiée pour porter le néofasciste Jair Bolsonaro à la présidence. Lors de la préparation de l’interview, nous avons décidé de ne pas lui demander de détails sur son séjour en prison, comme l’ont fait de nombreux journalistes récemment. Au lieu de cela, nous avons décidé de nous concentrer sur des questions liées à l’héritage d’un syndicaliste et président historiquement important, et concernant l’impérialisme américain et la méthode pour vaincre la résurgence du fascisme sur la scène mondiale. La transcription suivante représente la partie 2 de l’entrevue. La vidéo a été filmée par Ricardo Stuckert, caméraman de “Une démocratie en danger” et par le producteur de TeleSur, Nacho Lemus, et elle peut être visionnée sur la chaîne YouTube Michael Brooks Show, ici.
Président Lula, je voudrais demander votre avis, en tant qu’ancien dirigeant syndical et travailleur, sur ce que nous appelons l’ubérisation de l’économie. Un gros problème aux États-Unis, et je pense aussi au Brésil, est que ces entreprises de la Silicon Valley créent des modèles commerciaux pour dire, par exemple, que les coursiers de cette application ne sont pas vraiment des travailleurs, ce sont des indépendants et non des employés de l’entreprise ; elles prétendent être une plate-forme et non une entreprise avec des travailleurs ordinaires. Les travailleurs sont isolés. Les chauffeurs Uber, par exemple, utilisent leurs propres voitures, ils ne se rencontrent pas et ils n’ont pas la possibilité de s’organiser. Les entreprises réduisent tous les salaires et peuvent perdre de l’argent pendant longtemps. Mais ensuite, elles acquièrent le capital de l’investissement et redéfinissent le marché pour prendre le pouvoir aux travailleurs. Quelle est la stratégie pour lutter contre cette uberisation de l’économie au Brésil, aux États-Unis et dans le monde?
Michael, j’ai essayé de discuter de cette question avec les dirigeants syndicaux brésiliens parce que c’est l’une de mes préoccupations, depuis que je suis dirigeant syndical. Je ne sais pas si vous le savez, mais depuis la chute de Lehman Brothers, 125 pays dans le monde ont déjà subi une réforme du travail pour retirer des droits aux travailleurs, et pas pour en donner. En d’autres termes, c’est presque comme remonter à l’époque de l’esclavage. L’individu travaille sans la certitude qu’il y aura du travail le lendemain, sans la certitude d’une assurance contre les accidents du travail, ni d’une retraite. Il travaille en utilisant ses propres biens, qui peuvent être perdus dans un accident de voiture.
Il y a beaucoup de personnes qualifiées, ingénieurs, avocats. Il y a des gens qui ont travaillé au Congrès National, au gouvernement. Et ces personnes ont été licenciées et n’ont pas d’emploi, alors elles vont travailler chez Uber. C’est presque comme s’il s’agissait d’une bouée de sauvetage. Lorsque le navire coule, vous prenez ce canot de sauvetage, mais il n’est toujours pas sûr. Ce canot n’est pas une garantie, l’important était d’être en sécurité sur le navire. Le système financier, les médias et l’élite brésilienne vendent l’idée que le Brésil évolue parce qu’il retire des droits et s’en prend aux pensions des travailleurs. Il y a une file de plus de 2 millions de Brésiliens qui attendent leur retraite, et le président a déclaré qu’il embaucherait 4 000 soldats de réserve pour résoudre le problème des retraites.
Lorsque j’étais président de la République, entre 2007 et 2010 et, plus tard, sous le gouvernement de Dilma, l’ouvrier prenait sa retraite en une demi-heure. Le salaire de maternité se réglait en une demi-heure. Le travailleur ne devait pas courir derrière la sécurité sociale, c’était le contraire. C’est la sécurité sociale qui informait le travailleur qu’il avait accompli sa période de service et avait droit à la retraite, afin qu’il puisse toucher sa pension. Nous communiquions. Nous avons des cas de travailleurs qui ont pris leur retraite en cinq minutes. Il suffit de prendre les gros titres des journaux de l’époque pour réaliser le miracle. Tout cela a été démantelé au Brésil. Donc, je pense que les gens sont éduqués pour considérer le conducteur Uber comme un micro-entrepreneur.
Quand j’avais 20 ans, j’ai commencé à travailler comme tourneur et à cette époque, on ne parlait pas de “microentrepreneur” ou “entrepreneuriat”. Je voulais avoir un bar. Je pensais que ne pas avoir de patron était la meilleure chose au monde, être mon propre patron. Ou me procurer un taxi. Aujourd’hui, on parle d’entrepreneuriat. Ainsi, le citoyen va travailler chez Uber, sans aucune protection sociale ou certitude de combien il gagnera dans le mois. Je connais des gens qui ont vendu leur voiture parce qu’ils n’étaient pas en mesure de payer l’acompte. Ils paient 1 600,00 R $ de loyer et gagnent le même montant par mois. C’est ainsi qu’ils vivent car ils n’ont pas d’autre possibilité. Alors les gens livrent des pizzas à vélo sous la pluie. Ces jours-ci, il y a eu une tempête à São Paulo et le pauvre livreur était là, car il n’a pas d’autre moyen de survivre. Il n’y pas de travail.
Et nous devons remercier ces gens de s’être soumis à cela, car sinon ils pourraient devenir des délinquants. Il vaut mieux travailler comme ça que d’acheter un revolver pour attaquer le premier que l’on croise. Nous devons donc restaurer les droits des travailleurs. Il y a eu des morts et des grèves historiques pour que les femmes obtiennent la journée de huit heures à Chicago, au Brésil, en Suède … Il y a eu mort de travailleurs pour obtenir la semaine de 48 heures et la protection sociale. Tout cela s’est joué au profit des employeurs, dont la grande majorité sont des représentants du système financier. C’est la financiarisation de l’économie. On ne sait plus à qui appartient l’industrie, maintenant tout est société et groupe financier.
Et les gens s’enrichissent en spéculant, sans produire, en vendant du papier, le monde est comme ça. À Singapour, un groupe de personnes a créé un fonds pour protéger les travailleurs d’Uber. Et quand il y a eu près de six mille adhérents à ce fonds, le groupe a demandé à Uber de négocier les droits des travailleurs. De toute évidence, les travailleurs doivent trouver un moyen de s’organiser, sinon la situation sera très mauvaise. Je pense que c’est une question de temps. Le mouvement syndical doit trouver un moyen de s’occuper de ces personnes qui travaillent de manière précaire, sans aucun droit ni garantie, car elles sont tenues de subvenir aux besoins de leur famille et de payer les factures. Et à la fin du mois, la vie est dure. Mais je suis sûr que nous trouverons une solution à cela, c’est pourquoi je maintiens que le PT doit continuer à se battre. Chaque fois que le parti a des doutes sur ce qu’il doit faire, il doit se rappeler dans quel but il a été créé. Si quelqu’un est perplexe sur l’orientation du PT et sur le combat qu’il devrait mener, pensez simplement à la raison pour laquelle le PT a été créé.
Lorsque François Hollande a été élu président de la France, il s’est rendu au Brésil lors de Rio + 20. Je lui ai parlé et j’ai trouvé un moment pour lui dire: «j’aimerais te donner des conseils, tu sais bien pourquoi tu as gagné les élections. Alors prend le programme de gouvernement, mets-le à la tête de ton lit et chaque matin, avant de te laver le visage, lis les discours que tu as prononcés pour gagner les élections, pour ne pas l’oublier ». Je suis allé rendre visite à Obama au début de son mandat et je lui ai dit: «Obama, tu es l’un des rares présidents au monde qui n’aura aucune difficulté à gouverner. Et du coup, adopte l’audace du peuple noir qui a voté pour que tu diriges ce pays. Il faut de l’audace. Il faut faire les choses autrement que d’habitude ». Et c’est ainsi que les choses se mettent en place, car lorsque vous gagnez une élection, la première chose qui se produit c’est que l’élite et les hommes d’affaires entourent le président, même s’ils n’ont pas voté pour lui, c’est dur. Une personne que tu n’as jamais vue frappe à ta porte tous les jours et les pauvres qui t’ont élu n’arrivent plus à te voir.
Il y a beaucoup à apprendre. Je suis allé aux rassemblements et j’aimais embrasser et faire la bise aux gens, mais les gardes de sécurité ne me laissaient pas. Je sortais dans une voiture blindée. Et je me disais: «C’est drôle, quand nous nous présentons aux élections, nous défilons avec une voiture ouverte, en faisant des signes des mains à tout le monde. Lorsque tu gagnes, ils ne te laisseront plus saluer les gens ou les embrasser. Lorsque les riches se rendent au palais pour rendre visite au président, il n’y a aucune sécurité. Mais quand les pauvres y vont, oui. C’est impressionnant ». C’est pourquoi j’ai voulu être à nouveau président en 2018, car il y a beaucoup de choses que j’ai compris qu’on pouvait faire alors que j’étais déjà hors du gouvernement. Il est possible de faire beaucoup plus sans se radicaliser, il suffit de suivre la Constitution, la Déclaration universelle des droits de l’homme et la Bible. Il y est écrit ce que les gens devraient avoir. Les gens doivent avoir une maison, une école, un travail, un salaire et de la nourriture. Il n’y a aucune loi qui stipule que les gens devraient vivre sans manger.
Cependant, il y a les grandes entreprises de la Silicon Valley qui coordonnent Internet dans le monde aujourd’hui. Nous pensions que les médias se démocratiseraient et aujourd’hui il y a une demi-douzaine d’entreprises qui coordonnent tout. Ils falsifient jusqu’aux élections. En d’autres termes, l’être humain va être transformé en algorithme s’il ne fait pas attention. Les gens commencent à savoir ce que vous pensez, faites, ce que vous aimez manger, et commencent à s’en mêler et à mentir. Les élections aux États-Unis, au Brésil et en Hongrie se sont déroulées ainsi.
Dans une récente interview avec le journaliste de TeleSur Nacho Lemus, vous avez dit que vous pensiez que des forces extérieures étaient impliquées dans les manifestations de juin 2013 au Brésil. Et vous avez été immédiatement attaqué par des Brésiliens d’extrême gauche, qui vous ont accusé de réduire ce qui est arrivé à une simple intervention de la CIA. Je sais que le PT adopte la vision gramscienne de l’État élargi – non seulement en tenant compte du gouvernement, mais aussi des organisations, par exemple les corporations. Pouvez-vous expliquer ce que vous vouliez dire lorsque vous avez dit qu’il y avait eu des interférences externes en 2013?
Tout d’abord, cette question est importante car elle me permet d’expliquer clairement ce que j’ai dit dans l’autre interview. Je n’ai pas dit que le mouvement avait commencé avec quelqu’un de la CIA. Le mouvement a commencé par les manifestations de gens qui se battaient pour les transports publics, dans plusieurs capitales brésiliennes, et c’était un mouvement légitime. Il s’avère que lorsque des black blocks sont apparus, ce mouvement a été récupéré. Ce n’est pas le mouvement pour les transports publics qui a mis 1 million de personnes de la classe moyenne dans la rue lors de manifestations contre le gouvernement, la Coupe du monde et presque tout ce qui s’est passé au Brésil.
La chaîne de télévision Globo n’avait jamais interrompu l’émission de ses feuilletons pour parler des mouvements de revendication contre l’augmentation des tarifs des bus ou pour de meilleurs salaires. Et soudain, le mouvement a été présenté tout le temps par TV Globo, SBT, Bandeirantes, Record, comme s’il s’agissait de la promotion d’une fête. Les marches ont été diffusées en direct, ce qui ne s’était jamais produit dans l’histoire du Brésil. Donc, s’il est vrai que le mouvement a commencé ici à São Paulo pour lutter pour la réduction du prix du billet, ce combat a été récupéré par d’autres intérêts. Aujourd’hui, je comprends mieux et je pense que nous ne saurons pas de sitôt ce qu’il y avait derrière.
Mais je me souviens du printemps arabe, du renversement de Moubarak – qu’il fallait vraiment renverser ; c’était un dictateur, il était là depuis combien d’années? Les gens ont choisi Morsi, et après combien de temps l’ont-ils renversé? Et qui est là maintenant? S’il était vrai que le peuple s’est battu pour la démocratie, pourquoi sont-ils là maintenant avec trois généraux commandant l’Égypte? Et il n’y a plus de manifestation. En Turquie, la même chose. Erdogan nous a appelés en disant que ce n’était pas un mouvement concernant une place, que c’était pour renverser le gouvernement , et qu’il fallait faire attention au Brésil. J’ai de nombreuses raisons de soupçonner ce qui s’est passé ici au Brésil. D’abord parce qu’aucun syndicat de travailleurs n’a manifesté contre le gouvernement. Nous ne savions pas ce que ce mouvement était ainsi, une partie de la société semblait contre tout et c’était presque seulement contre le PT, Dilma, la Coupe du monde et les Jeux olympiques.
J’ai écrit un article pour le New York Times disant que les gens qui avaient appris à manger du steak cherchaient à manger du steak. C’est comme ça que je pensais, mais aujourd’hui je pense que c’était bien plus que ça. Ce n’était pas une vision purement économique, c’était une vision politique. J’ai beaucoup de soupçons. Ce qui s’est passé ici s’est produit en Équateur, en Argentine et en Bolivie. Quelle était la logique de faire ce qu’ils m’ont fait dans ce processus de Lava Jato? Tout avocat qui a accès au dossier connaît le mensonge qui est raconté, l’arnaque qui m’a été faite. Le thème de Lawfare, soulevé par mes avocats, est aujourd’hui l’un des sujets les plus abordés dans le monde juridique, car c’est un moyen plus moderne et efficace de renverser les démocraties et de mettre fin à la représentation du vote populaire. C’est comme ça qu’ils l’ont fait ici et aussi en Bolivie, avec Rafael Correa en Equateur. Donc, je me méfie beaucoup de ce qui se passe avec la judiciarisation de la politique mondiale.
Nous devons tenir compte du fait qu’une personne honnête et sérieuse ne ment pas ou ne diffuse pas de fausses nouvelles via WhatsApp. Mais quiconque n’a ni valeur, ni dignité, ni morale, ment toujours. L’autre jour, j’ai lu un rapport disant que Trump dit 12 mensonges par jour, je ne sais pas s’il y en avait 12, mais je l’ai lu dans un journal … Maintenant, comment un président de la République peut-il mentir 12 fois par jour? Comment une telle quantité de mensonges dans les tweets de Bolsonaro? Quand quelqu’un devient président de la République, il doit être responsable, ce n’est pas une petite position. C’est une position très importante. Et on doit penser à la respectabilité que les gens doivent avoir dans l’institution.
Je suis donc profondément préoccupé par certains types de mouvements qui ont eu lieu en Italie et dans d’autres pays. La démocratie doit être renforcée. Les partis politiques doivent exister. Pour ceux qui pensent qu’il existe une voie de sortie facile pour l’humanité en dehors de la politique, ce qui vient après sera toujours pire.
C’est pourquoi je défends la politique et les partis politiques. Si le politicien est nul, remplacez-le. Ce que vous ne pouvez pas faire, c’est penser qu’il existe un sauveur de la mère patrie dans le monde des affaires. Seuls la démocratie et l’exercice de la démocratie dans toute sa mesure résoudront les problèmes du monde entier, résoudront les conflits aux États-Unis, au Brésil et empêcheront la guerre. Est-il logique que Trump fasse tuer un général iranien en Irak? Quelle est la logique? Le monde a besoin de paix et d’espoir. Vous avez besoin que les gens se réveillent chaque jour en pensant que la journée sera bonne. Qui gagne quelque chose à une guerre contre l’Iran? À une guerre contre l’Irak?
L’autre jour, Trump s’est plaint que l’Iran a conquis l’Irak parce que c’est ne majorité chiite, mais ceux qui ont fait la guerre, ce sont les États-Unis. Et j’étais avec Bush en décembre 2003 lorsque les Américains ont fait la guerre, puis j’ai été avec Clinton à Davos. Et Clinton a déjà dit que Bush règlerait la question selon l’hypothèse que celui qui attaquera l’Irak gagnera les élections. Et il a attaqué. En échange de quoi? Cela a-t-il amélioré la vie des gens en Irak ou la démocratie irakienne? Non, c’est pire. Aujourd’hui, un groupe errante parcourt le monde, un groupe de personnes engagées pour assassiner, frapper et faire la guerre.
Je suis convaincu que les dirigeants démocrates devront faire un énorme effort pour rétablir les valeurs de la démocratie. Sans démocratie, nous n’irons nulle part. C’est pourquoi j’espère que lors des prochaines élections aux États-Unis, les Américains pourront élire une personne engagée pour la démocratie, la paix, le développement et l’harmonie entre les peuples.
Le Royaume-Uni est généralement considéré comme une marionnette des États-Unis, mais il a sa propre politique étrangère pour l’Amérique latine, qui a durci au cours des dix dernières années. Quelles ont été vos expériences avec les différents gouvernements du Royaume-Uni et quelle est votre opinion sur les relations entre le Royaume-Uni et le Brésil aujourd’hui?
Je vais vous donner une nouvelle. En 1980, j’étais dirigeant syndical dans la ville de São Bernardo do Campo et j’ai rejoint la grève des mineurs en Angleterre, lorsque Margareth Thatcher les a écrasés. J’étais là pendant deux jours pour prononcer un discours et défiler avec eux. La relation du Brésil avec l’Angleterre est très respectueuse. Il y avait des moments où la figure de la reine était quelque chose de bien au-delà de l’opinion ordinaire des citoyens, le lignage de la famille royale est d’ailleurs toujours transmis ici au Brésil. Elle est la seule reine qui conserve encore la force de la couronne.
J’avais une bonne et respectueuse relation avec Tony Blair, ainsi qu’avec Gordon Brown. Ce sont les deux gouvernements avec lesquels j’ai été en contact. Malheureusement, le rôle de Tony Blair dans la décision de la guerre en Irak était lamentable, et il le sait. Il a été agressé dans les rues de Londres à cause de la guerre, et il savait qu’il n’y avait pas d’armes chimiques. Nous le savions aussi, car le secrétaire qui s’occupait du département des armes nucléaires à l’ONU, l’ambassadeur Bustani, était brésilien. C’est lui qui s’occupait des armes chimiques, et il s’épuisait à dire qu’il n’y avait pas d’armes. Pour cette raison, les États-Unis ont exigé de Fernando Henrique Cardoso le retrait de Bustani, et il a été retiré. Ils ont mis quelqu’un du Japon qui a dit qu’il y avait des armes. Depuis combien de temps ont-ils envahi l’Irak et où sont les armes chimiques? La seule arme chimique là-bas était Saddam Hussein lui-même, qui mentait constamment aux gens. Et Bush, qui a également menti au monde.
Je peux dire avec fierté que Tony Blair et Gordon Brown m’ont aidé au début de mon gouvernement. Ils étaient très sympathiques, sans doute parce que j’étais un ouvrier et que je travaillais dans des usines. Lorsque Gordon Brown s’est occupé de l’économie anglaise, il nous a beaucoup aidé, il a très bien parlé du Brésil avec la presse, et cela nous a beaucoup aidé. J’avais une très bonne relation avec eux, plus forte avec Gordon Brown, que je pensais être une figure plus sérieuse et engagée. D’un point de vue commercial, je pense que le commerce a atteint 8 milliards de dollars.
C’est peu parce que le Brésil n’est pas beaucoup pris en compte, ni au sérieux, dans ces parties du monde. J’ai été très bien traité par la reine d’Angleterre, mais le Brésil ne représente pas une force politique internationale, et donc n’est pas vraiment pris en compte. Il a été pris en compte dans notre mandat, je pense parce que j’ai été le premier métallurgiste à accéder à la présidence. En fait, j’étais un étranger dans le nid, moi, autant qu’Evo en Bolivie.
Pouvez-vous imaginer un Indien cocaleiro présidant la Bolivie? J’ai rencontré Gonzalo, le président qui a démissionné en 2003, il ne parlait même pas espagnol. Lorsqu’il voulait expliquer quelque chose, il parlait en anglais, avait du mal à utiliser l’espagnol et il était président de la Bolivie. Evo Morales était un vrai président, qui a mené des politiques d’inclusion sociale, réduit l’inflation, créé des emplois, augmenté les réserves internationales de la Bolivie, qui sont supérieures au PIB. Tout cela fait par un Indien, et maintenant les élites l’ont fait tomber.
Donc, j’ai de bons souvenirs d’Angleterre, je suis allé au palais pour échanger des points de vue. J’ai trouvé cette situation étrange, tout était très différent pour moi, mais tout le monde était très respectueux envers le Brésil et vice versa. Je suis également allé au Parlement anglais et je suis très reconnaissant de la solidarité que le parti travailliste m’a consacrée lors de mon incarcération. Je vais même écrire une lettre à Corbyn pour le remercier du travail qu’il a fait, par solidarité lors de mon emprisonnement injuste. Et j’espère que le Brésil saura que l’Angleterre est politiquement importante et que le maintien de relations saines avec ce pays est toujours une porte ouverte pour que le Brésil pénètre dans d’autres pays du monde.
Monsieur le Président, vous avez récemment cité Mia Couto, qui a déclaré que lorsque les gens ont peur, ils choisissent des monstres pour les protéger. Je voudrais savoir deux choses à ce sujet. Tout d’abord, je sais que nous avons besoin d’une direction intellectuelle, mais y a-t-il des qualités spirituelles ou émotionnelles qu’un leader doit avoir pour atténuer la peur des gens et leur donner de l’espoir? Et, si je peux me permettre, Bernie Sanders est-ce genre de leader?
Je n’ai toujours pas eu le privilège de rencontrer personnellement Bernie Sanders, je le connais seulement par la presse, par des personnes qui l’ont accompagné et par ses déclarations de solidarité avec moi. Il s’est entretenu avec des collègues de PT et Fernando Haddad, et l’impression que j’ai est la meilleure possible. Et bien qu’il n’ait pas réussi à dépasser les primaires du Parti démocrate, il a fait une campagne très stimulante pour les jeunes et un discours, pour les Etats-Unis, très de gauche.
Pendant plus de 20 ans, j’ai cherché quelqu’un de gauche dans tous les bars américains et je ne l’ai pas trouvé, donc quand Bernie Sanders est arrivé, cela a été une nouveauté extraordinaire. Cela donne l’espoir de savoir qu’il y a, au Sénat, quelqu’un qui a déjà un certain âge, mais avec pensée aussi puissante.
Et je pense que c’est important parce qu’un pays avec la taille de l’économie américaine peut améliorer considérablement la qualité de vie de ses habitants en se préoccupant moins de guerres et en dépensant moins l’argent pour les forces armées ou l’espionnage. On pourrait utiliser une partie de cet argent pour améliorer la vie des pauvres des États-Unis, qui vivent aussi mal et souffrent de problèmes de santé.
Si Sanders remportait les élections, on pourrait rêver, même si on sait qu’un président américain aura derrière lui un puissant lobby de l’armement, ce qui rend l’action démocratique tellement difficile. Il n’est possible de gouverner correctement que si vous avez défini la raison d’être du gouvernement, pour qui vous voulez gouverner et quel côté vous êtes. Nous appartenons à un côté dans notre passage à travers la planète Terre. La vérité est que le riche n’a pas besoin de l’État, mais en prend possession et joue souvent le rôle de l’État lui-même.
Donc, pour apprendre à gouverner, il faut observer comment une mère s’occupe de ses enfants. Une mère, si elle a dix enfants, appréciera tout le monde sur un pied d’égalité. Mais si elle en a un plus faible, c’est à lui qu’elle va donner le deuxième biberon et le prendre sur ses genoux pour l’endormir. Et le rôle de l’État, c’est de gouverner pour ceux qui en ont besoin – les travailleurs et ceux qui n’ont même pas de travail. Je suis très triste parce que j’étais très fier de savoir que notre politique d’inclusion sociale avait réussi à éliminer la carte de la faim dans ce pays. J’étais très fier le jour où l’ONU a reconnu que le Brésil n’était plus sur la carte de la faim.
Et aujourd’hui, le Brésil est revenu sur la carte de la faim. La ville de Pernambuco, Brasilia Teimosa, où nous avons éliminé les cabanes sur pilotis et ranimé les rues et les plages, se retrouve à nouveau avec ces cabanes. Le nombre de personnes dormant dans les rues de ce pays ! Je n’avais plus vu d’enfants mendier, maintenant les enfants ont recommencé et vivent sous les ponts. Cela n’a aucun sens dans un pays riche comme le Brésil. Et pendant ce temps, Forbes Magazine publie la liste des 20 hommes les plus riches du pays. Les gens disent que je suis plus radical, mais je suis plus humain. J’ai appris à être plus humain en prison et j’ai réfléchi davantage, j’ai mesuré mes 70 ans de vie pour pouvoir savoir que je dois me battre encore plus.
Il est inacceptable d’admettre l’idée que l’élite brésilienne n’accepte pas la croissance économique des plus pauvres, qui ont droit à la santé, à l’éducation, à l’eau et à l’école. Ils n’acceptent pas que les pauvres aient tout ce qui est élémentaire. Donc, j’ai beaucoup plus de conscience politique et c’est pourquoi je veux me battre davantage. “Ah, mais Lula revient, il a quitté sa prison exaspéré, cherchant à mobiliser”. Je veux vraiment mobiliser, je veux avoir un débat idéologique plus profond et faire savoir aux gens qu’il n’y a pas d’enseignement qui dit que quelqu’un devrait passer trois jours sans manger ou qu’il ne devrait pas avoir un verre de lait et de pain à donner à ses enfants dans un pays aussi riche. C’est pourquoi je semble plus exaspéré et radical. J’aime parler et négocier, j’ai appris à faire de la politique en négociant, mais je ne veux plus être trompé.
Et je veux faire en sorte que le peuple brésilien lève la tête. Le gars qui travaille chez Uber ou livre des pizzas à vélo devrait savoir qu’il mérite mieux. Le citoyen qui dort sur le trottoir doit savoir qu’il n’a pas besoin de dormir sur le trottoir, l’Etat a une obligation envers lui. Sinon, à quoi sert l’Etat?
Voilà, je termine en vous remerciant pour l’interview. C’est toujours un peu difficile car je ne parle pas anglais et vous ne parlez pas portugais, mais je pense que lorsque nous disons la vérité, nous parlons avec l’âme et les yeux, et les gens comprennent. Et j’ai appris de ma mère à regarder dans les yeux quand je parle à un autre être humain, parce que la vérité n’est pas dite par la bouche, elle l’est par les yeux.
Brasil Wire | Traduit par Francis Gast.