Lula : “Le Brésil est revenu à l’époque de la colonisation”
En janvier 2020, les rédacteurs de Brazil Wire, Daniel Hunt et Brian Mier, en partenariat avec Michael Brooks, présentateur du Michael Brooks Show, ont interviewé l’ancien président brésilien Luiz Inácio Lula da Silva au siège du parti des Travailleurs à São Paulo. L’entretien est le résultat d’une démarche de six mois, qui a commencé par une requête au tribunal de Curitiba pour l’interviewer, alors qu’il était encore prisonnier politique. Lula a été arrêté après une opération judiciaire partisane que des fuites de conversations privées dans une application de réseau social ont démontré qu’elle était planifiée pour porter le néofasciste Jair Bolsonaro à la présidence. Lors de la préparation de l’interview, nous avons décidé de ne pas lui demander de détails sur son séjour en prison, comme l’ont fait de nombreux journalistes récemment. Au lieu de cela, nous avons décidé de nous concentrer sur des questions liées à l’héritage d’un syndicaliste et président historiquement important, et concernant l’impérialisme américain et la méthode pour vaincre la résurgence du fascisme sur la scène mondiale. La transcription suivante représente la première partie de cette entrevue de 80 minutes. La deuxième partie sera publiée dans une semaine. La vidéo a été filmée par Ricardo Stuckert, caméraman de “Democracia em Vertigem” et par le producteur de TeleSur, Nacho Lemus, et peut être visionnée sur la chaîne YouTube Michael Brooks Show, ici.
Monsieur le Président, c’est un honneur d’être ici – et merveilleux de venir de Brooklyn pour vous rendre visite. Je m’appelle Michael Brooks et je présente un programme fort créativement appelé le Michael Brooks Show. Je suis ici avec Brian Mier et Daniel Hunt, co-éditeurs de Brasil Wire, un site Web fondé par Daniel. Nous sommes également en partenariat avec TeleSur et Brasil247. C’est fantastique d’être ici et c’est formidable d’aider les gens en Amérique du Nord à en savoir plus sur le Brésil et son leadership. Je voudrais commencer par ce sujet. Les nouvelles récentes sur l’Iran sont assez inquiétantes, et de nombreux Américains ignorent votre rôle en 2010 dans la négociation d’un accord de paix et d’une résolution politique similaire à celle que Obama signerait quelques années plus tard. Donc, en deux étapes: pourquoi le président Obama a-t-il rejeté l’accord que vous aviez négocié? Et aujourd’hui, nous voyons que le président Trump a accru les tensions. Il a rejeté l’accord et assassiné Qasem Soleimani. Comment voyez-vous le rôle du Brésil et d’autres pays du Sud dans l’instauration de la paix dans les relations internationales et comment les États-Unis pourraient-ils être un allié plutôt qu’un ennemi pour le construire?
Premièrement, il est important d’observer ce moment où le Brésil a conclu, avec la Turquie, un accord avec l’Iran pour l’enrichissement de l’uranium, un moment historique différent du moment que nous vivons aujourd’hui. Le Brésil était davantage respecté dans le monde. Le Brésil était quasiment un protagoniste international parce que nous avions exclu l’ALCA (zone de libre-échange des Amériques) des enjeux internes et renforcé le Mercosur. Nous avions créé l’UNASUR, l’Union des Pays d’Amériques du Sud, les BRICS, l’IBSA, une union entre les pays du Moyen-Orient et d’Amérique du Sud, la CELAC qui était la seule union à laquelle participait Cuba, mais pas les Etats-Unis ni le Canada. Nous avions créé la Banque des BRICS et la Banque du Sud ici, en Amérique du Sud. Le Brésil était devenu un protagoniste et un concurrent sérieux pour faire partie du Conseil de Sécurité des Nations Unies. Nous avons soutenu que le Brésil, l’Inde, l’Allemagne et la Japon en fassent partie. Seulement nous ne savions pas que le Japon avait un très fort différend historique avec la Chine et que la Chine n’était donc pas très favorable à la réforme et à l’ouverture du Conseil de l’ONU. Mais nous avions eu l’appui de la Russie, de la France et de l’Angleterre. Bush, au premier abord, était très sympathique et Obama un peu moins. Et lorsque nous avons entrepris de négocier avec Ahmadinejad, ce fut un événement historique. Nous sommes allés aux États-Unis, pour une réunion du G20 à Princeton. J’avais parlé à Ahmadinejad à l’hôtel et, jusque-là, je n’avais pas de relation amicale avec lui. Je suis arrivé à la réunion et j’ai demandé à Obama s’il avait déjà parlé à Ahmadinejad, et il a dit non. J’ai demandé à Angela Merkel, elle a dit non, j’ai demandé à Gordon Brown et j’ai parlé à Sarkozy, ils ont dit non. En d’autres termes, personne en fait, n’avait parlé à Ahmadinejad et je me demandais: “comment ces gens veulent-ils conclure un accord s’ils ne se parlent pas?” La politique internationale est largement cloisonnée, notamment en Europe. Ce sont des fonctionnaires qui négocient, c’est plus difficile. Et je me souviens que lorsque j’ai décidé d’aller en Iran, Hillary Clinton s’est fortement opposée cela. Elle a même appelé l’émir du Qatar pour me convaincre de ne pas y aller. Je suis arrivé à Moscou et suis allé parler à Medvedev, Obama l’avait appelé pour que je n’y aille pas, car j’allais être dupé.
Pourquoi étaient-ils préoccupés ?
Malgré cela, Obama n’a pas aimé que j’aille en Iran, mais il m’a écrit un mot disant que si Ahmadinejad était d’accord avec certaines conditions, cela lui conviendrait. C’est donc avec ce message que je suis allé en Iran. Nous y sommes arrivés et, après deux jours de conversation, c’était très difficile. J’ai donc dit à Ahamadinejad que je ne retournerais pas au Brésil sans un accord.
Il a demandé s’il serait possible de conclure un accord verbal et j’ai dit que ce n’était pas possible, car personne dans ce cas n’aurait confiance en l’Iran. Ils diront que les Iraniens sont des menteurs et ne respectent pas les accords. J’ai donc dit que je ne partirais que si c’était un accord écrit.
Et il a accepté l’accord tel que nous l’avons proposé. J’ai été surpris parce que je pensais qu’Obama serait satisfait de l’accord, mais il a alourdi les sanctions contre l’Iran. Et puis nous avons découvert que Hillary Clinton n’était pas au courant du message que m’avait remis Obama. Elle a été surprise lorsque le ministre Celso Amorim lui en a parlé. Je n’avais pas d’autre choix que de rendre publique la lettre d’Obama pour que les gens réalisent que nous n’avions rien fait d’insensé. Et l’accord que nous avons conclu était plus précis que celui signé par l’Europe et les États-Unis. C’était donc une chose très désagréable. Quelle a été mon impression? J’ai eu l’impression que les pays riches, en particulier ceux dirigés par les théories du Département d’État américain, n’acceptaient pas un nouveau protagoniste dans la région. Pour eux, le Brésil n’avait pas l’envergure pour s’impliquer dans une affaire d’une telle ampleur. Et pour moi, c’était facile de parler à Ahmadinejad, parce que je lui ai dit que la seule chose que j’attendais d’eux était ce que je voulais pour le Brésil. Je voulais que l’Iran ait les mêmes droits que le Brésil. Le Brésil prévoit, dans sa Constitution, la non-prolifération des armes nucléaires et ne défend l’enrichissement de l’uranium qu’à des fins pacifiques, pour la production de médicaments, et autres. Eh bien, Ahmadinejad, Khamenei et le président du Congrès iranien étaient d’accord. Malheureusement, je suis allé d’Iran à Madrid, parce qu’il y avait une réunion Union Europe-Amérique du Sud, mais en imaginant que tout le monde serait content parce que j’étais parvenu à un accord, ce qu’ils n’avaient pas obtenu. Et quand je les ai vus, ils étaient tous contre, estimant que le Brésil allait là où il n’avait pas sa place. Le Brésil était une personnalité non grata de la politique internationale. C’était désagréable. Je pense aussi pour le Moyen-Orient. Tant qu’il y aura des discussions entre les États-Unis et Israël, il n’y aura pas de paix au Moyen-Orient. C’est parce qu’ils sont responsables du conflit. Si nous ne mettons pas les personnes impliquées à la table des négociations et si nous écoutons tout le monde, il n’y aura pas d’accord. De temps en temps, un prix Nobel est décerné à une personnalité américaine ou israélienne. Et la paix, celle qui intéresse le peuple, ne viendra jamais. Voilà ce qui s’est passé.
Monsieur le président Lula, beaucoup d’efforts ont été déployés pour discréditer l’héritage du Parti des travailleurs au niveau international. Ce que je remarque c’est la critique de la politique économique du PT, venant de la classe moyenne de gauche autoproclamée,. Au cours de ses 500 ans d’histoire, le Brésil a alterné entre cycles de croissance et récession économique, mais il existe une ligne de pensée en circulation, en partie influencée par les idées de [économiste et fondateur de PSDB, parti de centre-droit] Bresser-Pereira, qui soutient que le PT n’a pas été en mesure de préparer le pays aux cycles de récession et que le modèle du parti ne fonctionnerait que pendant les périodes de croissance. J’aimerais donc vous demander ce que vous avez fait pour protéger le Brésil de la crise financière mondiale de 2008 et quelles mesures le gouvernement a-t-il prises pour protéger le pays des futurs cycles de récession économique lorsque vous étiez président?
Elle est très drôle, cette théorie intellectuelle au Brésil, qui dit que mon gouvernement a fonctionné parce que j’ai profité du boom de l’agro-industrie et que c’est pour ça que l’économie a fonctionné. Pensez aux données suivantes: de 1950 à 1980, le Brésil a été l’une des économies à la croissance la plus rapide au monde. En moyenne, le Brésil a progressé de 7% par an au cours de cette période, soit trente années consécutives de croissance. Pourquoi n’y a-t-il pas eu de politiques de partage des revenus? Pourquoi pas de politiques d’inclusion sociale? Pourquoi l’économie brésilienne, lorsqu’elle se développait, n’a-t-elle pas fait progresser les gens ensemble? Tu sais pourquoi, Brian? Ce qui a fait le miracle de notre gouvernement ce n’était pas le boom des matières premières, c’était le boom de l’inclusion sociale. J’avais la certitude absolue que le pauvre ne serait pas le problème, le pauvre pouvait être la solution à mesure que nous parvenions à inclure les gens les plus démunis dans l’organisation du syndicat, et que nous permettions à ces personnes d’avoir accès à des emplois, à des salaires, au crédit et à la richesse produite, afin de devenir des consommateurs. Il n’y a pas, sur la face de la planète Terre – même pour ceux qui prétendent que la Terre est plate -, aucun moment dans l’histoire où une économie a grandi sans de très fortes demandes internes et externes. Au Brésil, nous avons réussi à augmenter la demande externe et interne. Le Brésil est passé de 107 à 465 milliards de dollars de flux de commerce extérieur. Il est également passé de 380 milliards de reais de crédit intérieur, qui étaient disponibles entre les banques publiques et privées, à 2,7 billions en 2010. De plus, nous avons généré 22 millions d’emplois, des travailleurs formels, avec un contrat formel, des vacances et la sécurité sociale. Et nous avons augmenté le salaire minimum de 74%. Le revenu des 20% les plus pauvres a augmenté davantage que le revenu des 20% les plus riches. C’était la première fois dans l’histoire et le seul pays, pendant toute la crise de Lehman Brothers, où les plus pauvres avaient un meilleur taux d’augmentation que les plus riches. Ce n’était donc pas le miracle du boom des matières premières, c’était le miracle de l’inclusion des pauvres. C’était le miracle de la politique sociale. Ce n’était pas seulement l’augmentation du salaire minimum ou de la Bolsa Família, la bourse familiale, que nous avons créée, c’était un ensemble de politiques publiques. Je vais vous présenter des données que vous ne connaissez peut-être pas. Dans notre gouvernement, nous avons rendu 49 millions d’hectares disponibles pour la réforme agraire. Cela représente 50% des terres mises à disposition pour la réforme agraire au cours des 500 ans d’histoire du Brésil. En seulement huit ans, nous avons accompli la moitié de tout ce qui a été fait au cours des 500 ans d’histoire du pays. Lorsque nous avons décidé de réaliser un programme appelé «Luz para Todos» (Lumière pour tous) – parce qu’il y avait des gens qui vivaient près des centrales thermoélectriques et hydroélectriques, mais qui n’avaient pas d’électricité dans leurs maisons – nous avons apporté gratuitement de l’électricité à 15 millions de personnes. L’État le payant, car si l’État n’apporte pas l’électricité aux pauvres, les riches ne le feront pas. Les riches ne l’apportent qu’à ceux qui peuvent payer. Et celui qui a le devoir de garantir que les pauvres puissent allumer la lumière et avoir une télévision et un réfrigérateur c’est un parti comme le PT, parce que c’est pour cela que nous avons été créés. Le miracle était de tenir compte de 54 millions de personnes qui n’avaient rien à manger. C’était de tenir compte des millions de gens sans emploi ou dont le salaire minimum ne permettait pas de consommer les calories et les protéines nécessaires. Le PT est né pour cela, pour résoudre ces problèmes de la société. C’était ça, le miracle. Il est important de rappeler que l’économie a progressé de 3,9% au cours de la première année de l’administration Dilma, et de 2% en 2012. Et il faut se rappeler que la crise a commencé à s’aggraver lors des élections de 2014. Lorsque Dilma a tenté de faire une réforme notamment par un projet de loi mettant fin à l’exonération, le pacte contre elle avait déjà été créé entre Eduardo Cunha, Temer et le Congrès national. Et ils ne lui ont pas permis de faire les changements nécessaires. Les termes concrets sont les suivants: il ne suffit pas d’avoir de l’argent ou de faire croître l’économie, vous devez savoir au profit de qui vous allez rétrocéder cet argent et cette croissance. Si vous prenez 1 milliard de dollars et le donnez à un homme riche, il le déposera sur un compte bancaire et vivra de spéculation. Mais si vous prenez ce milliard de dollars et le partagez entre 1 million de personnes, avec 100 dollars pour chacune, vous vous rendrez compte que ces dollars vont circuler et faire fonctionner le marché, les gens vont acheter de quoi manger, des chaussures, des chaussettes, des cahiers… Et l’économie fonctionne. Ce fut le miracle du PT. C’est pourquoi il y a tant de haine contre le PT, car pour la première fois dans l’histoire de ce pays depuis 500 ans, les pauvres ont pu voyager en avion. Environ 43 millions de personnes ont voyagé en avion. Sous notre gouvernement, nous avons atteint 113 millions de personnes, 60 millions de plus. Nous estimons avoir inclus 70 millions de personnes dans le système financier brésilien, plus que les populations de l’Argentine et de la Colombie réunies. Dans le programme Luz para Todos, Lumière pour tous, nous utilisons 1,4 million de transformateurs, près de 8 millions de postes, et, avec la quantité de fils électriques installés il serait possible de faire trente-cinq fois le tour de la planète Terre. La classe moyenne pensait que je profitais aux pauvres avec Luz para Todos, mais 89% des personnes qui ont reçu de l’énergie ont acheté une télévision, un réfrigérateur, un mixeur et un ventilateur. En réalité, avec Luz para Todos, les entreprises multinationales qui fabriquaient les produits ici au Brésil ont progressé, ainsi que les gens qui travaillaient dans le commerce. Les gens ne se rendent pas compte de la révolution qui s’opère dans un pays où les pauvres ont accès à la nourriture, à l’emploi et aux revenus. Donc les intellectuels brésiliens critiquent mais parfois ne ils ne perçoivent pas que c’est eux qui gouvernent le Brésil depuis l’arrivée de Cabral [en 1500]. Ils dirigent le Brésil depuis la proclamation de la République en 1889. Un travailleur n’a jamais dirigé ce pays. Et c’est au sein du gouvernement ouvrier que nous avons réalisé ce miracle de tenir compte des pauvres dans l’économie. C’est pourquoi il y a tant de haine. J’étais le seul président au Brésil qui n’avait pas de diplôme universitaire et aussi celui qui a ouvert le plus d’universités dans l’histoire de ce pays. Le président qui a créé le plus d’écoles techniques et qui a inscrit le plus d’étudiants dans les universités. C’est impardonnable. Il est impardonnable que les pauvres commencent à manger de la viande, à aller au cinéma, au théâtre, à occuper les aéroports. Et l’élite a dit “Wow, l’aéroport ressemble à une gare routière, il y a beaucoup de monde ici”. Il était vide auparavant. L’élite doit reconnaître que le moment où les pauvres vivaient le mieux, c’était sous le gouvernement du PT. Il faut analyser le pays historiquement et voir si, à un moment donné, le peuple vivait dans les conditions rendues possibles par nos dirigeants. Pour vous donner une idée, pour la première fois dans l’histoire du pays, 94% des accords syndicaux ont été conclus au-dessus de l’inflation. 94%. Cela explique le succès. C’était la croissance du revenu national et de l’argent dans la poche des gens pauvres.
Monsieur le Président, les gouvernements Lula et Dilma ont été cibles d’espionnage par les États-Unis, y compris par la pénétration d’agences de sécurité publique et de renseignement. Et cela semble être plus important que nous ne le pensions à l’époque. Il y a eu un scandale d’espionnage majeur lors de son premier mandat, qui a forcé l’ambassadrice américaine Donna Hrinak à s’excuser auprès de vous. Elle est actuellement présidente de Boeing Latin America, qui a récemment acheté Embraer et mis en échec la production et l’exportation de chasseurs brésiliens. Selon vous, quelle est la relation entre l’espionnage aux États-Unis et la souveraineté technologique brésilienne? Pensez-vous que le Brésil a été suffisamment défendu par son propre appareil de renseignement?
Le Brésil a toujours connu une relation amicale avec les États-Unis. Je pense que les États-Unis sont très importants dans les relations avec le Brésil, mais il nous a fallu 54 ans pour apprendre qu’il y avait un porte-avions dans les eaux brésiliennes en 1964, prêt à soutenir l’armée qui a fait le coup d’État avec l’accord du gouvernement américain. Après 54 ans, nous avons même pu voir les vidéos de Kennedy donnant des ordres à l’ambassadeur américain, ici au Brésil. Mais cela a pris 54 ans. Ce qui s’est passé avec l’espionnage des États-Unis au préjudice du Brésil et du monde à été très grave. Et c’était encore plus grave quand les États-Unis présentent des excuses à l’Allemagne, mais pas au Brésil. Je pense que le Brésil aurait dû aller plus loin pour exiger non seulement des excuses, mais qu’il aurait dû chercher d’autres formes de relations pour donner au pays plus d’autonomie et d’indépendance. Personne n’en a pris l’initiative. Il n’y a jamais eu de mandat de l’ONU aux États-Unis pour qu’ils soient les autorités fiscales et les shérifs du monde. Ici au Brésil, lorsque nous avons découvert le « pre-sal », une zone de réserve pétrolière, un coffre avec des informations confidentielles de Petrobras a été volé. Les multinationales pétrolières n’ont jamais accepté l’idée que le Brésil redevienne propriétaire de son pétrole, qu’il adopte une loi de répartition dans laquelle c’était le peuple brésilien qui était propriétaire du pétrole, et non plus les sociétés multinationales. Et, à ce moment, une certaine mobilisation a commencé à déstabiliser notre pays. Les Américains n’ont jamais accepté le fait que j’ai conclu un accord avec la France pour la production de navires à propulsion nucléaire. Le camarade Obama n’était pas content lorsque nous avons décidé d’acheter le Rafale et, plus tard, Dilma a décidé d’acheter l’avion suédois. Il n’en était pas très content. Il n’était pas non plus très satisfait d’une certaine indépendance du Brésil. Quand la Chine s’est mise à occuper des espaces politiques et économiques en Afrique et en Amérique du Sud avec des investissements, l’achat d’entreprises publiques, la construction de routes et de ponts, je pense que les Américains se sont dit ce qui suit: «Attendez, l’Amérique latine est à nous et nous n’allons pas permettre aux Chinois d’entrer dans la région ». Il y a eu des bêtises et de l’impolitesse contre le Venezuela. Parce que c’était une impolitesse irréparable, de reconnaître un arnaqueur, un député qui se faisait appeler Président de la République. Imaginez si la mode se répand partout dans le monde? Et ce que je tiens pour médiocre, c’est que des pays du monde entier ont approuvé qu’un citoyen fasse un coup d’État en disant: «Je suis le président et c’est fini». Maintenant, si vous voulez être un président qui conteste les élections, gagnez-les et prenez le relais. Si Maduro est un problème, c’est un problème pour le peuple du Venezuela. Ce n’est pas un problème pour le peuple américain, brésilien ou chinois. Le peuple du Venezuela doit s’occuper de Maduro. Je défends cela pour le Venezuela, les États-Unis et le Brésil. Donc, je pense que j’ai beaucoup plus de clarté aujourd’hui, Daniel. Dans mes cas, par exemple, aujourd’hui, c’est visible. Je vais même vous remettre une lettre des députés américains au procureur général, Brian, jusqu’à aujourd’hui sans réponse. Si vous pouvez en prendre acte, ce serait nous aider pour une chose importante. Les députés ont envoyé une lettre exigeant une réponse dans les 30 jours et le procureur général n’a pas encore répondu. Si vous le pouvez, j’aimerais que vous parliez à quelqu’un pour savoir pourquoi aucune réponse n’a été donnée jusqu’à présent …Parce qu’aujourd’hui, il y a, visiblement, un intérêt du ministère de la Justice des États-Unis pour Petrobras, pour la prison de Lula et pour la fermeture d’entreprises brésiliennes, en particulier des entreprises de construction civile. Aujourd’hui, il est très clair que les procureurs américains étaient intéressés par mon arrestation. Il y a une vidéo sur Internet qui montre un procureur américain en train de rire de la nouvelle de mon arrestation, et je pense que le but était de changer la logique de Petrobras. Autrement dit, Petrobras ne pouvait pas être une entreprise brésilienne et le pétrole du peuple brésilien, le pétrole devait appartenir à des multinationales et, au sein des multinationales, aux États-Unis. J’ai lu un livre – j’ai oublié le nom de l’auteur – intitulé «Pétrole», qui raconte l’histoire du pétrole depuis 1859. Presque tous les combats qui existaient sur la planète Terre portaient sur le pétrole. Les invasions en Irak et en Libye étaient dues au pétrole. La tentative d’invasion du Venezuela était due au pétrole. Une grande partie des conflits au Moyen-Orient concernent le pétrole. Parce que les pays riches n’ont pas beaucoup de pétrole …Eh bien, les Américains ont beaucoup de pétrole, mais ils ont besoin d’une réserve stratégique. Cela a été pensé après la Seconde Guerre mondiale, lorsque l’Allemagne a perdu parce qu’elle n’avait pas beaucoup de carburant. Le fuel s’est épuisé et l’Allemagne a perdu la guerre. Donc les pays riches sont obligés d’avoir beaucoup de réserves de pétrole, et ils démantèlent Petrobras. Le Brésil, qui voulait être un exportateur de produits pétroliers, est désormais un importateur de diesel et d’essence des États-Unis, alors que nous sommes autosuffisants. Ce sont des choses sans explication. Et puis arrive la vente d’Embraer, une chose de très grave. Un pays ne sera jamais souverain s’il n’y a pas de connaissances scientifiques et technologiques internes. Et Embraer était une entreprise leader, ce pourrait être une entreprise qui n’avait même pas à dépendre de Boeing ou de toute autre entreprise pour produire de l’avionique. Ils ont vendu Embraer à Boeing, Embraer était la troisième compagnie d’aviation au monde. Une entreprise très respectée qui a exporté plus que Bombardier. Et maintenant, ils veulent se débarrasser de Petrobras, Banco do Brasil, Caixa Econômica Federal, Eletrobras. Le Brésil vend ses sociétés publiques à des sociétés publiques d’autres pays. Je pense que le pays doit acquérir une nouvelle indépendance. Le Brésil doit avoir de bonnes relations avec les États-Unis, scientifiques, technologiques, politiques et économiques, mais il doit également être indépendant. Nous sommes un pays de 210 millions d’habitants, 8,5 millions de km², 360 millions d’hectares de forêt tropicale entièrement préservée. Le Brésil ne devrait pas dépendre des États-Unis ou de la Chine, de l’Inde ou de la Russie. Le Brésil doit dépendre de la liberté, de l’éducation, de l’emploi et du salaire de sa population. Je pense que le pays traverse le pire moment de son histoire. Nous avons un gouvernement asservi. J’ai longtemps refusé de participer aux forums internationaux afin de ne pas arrêter le Brésil, et maintenant le pays a renoncé à sa liberté et son indépendance, et s’incline devant le président américain. Je ne pense pas que quiconque respecte ceux qui ne se respectent pas eux-mêmes. Et le Brésil doit redevenir grand et, pour cela, il doit avoir des dirigeants politiques qui se respectent, qui aiment la démocratie et savent qu’un pays qui a une frontière avec dix pays, comme le Brésil, et une frontière avec l’océan Atlantique qu’il partage avec toute la côte africaine, pourrait apporter beaucoup plus de solidarité aux plus pauvres qu’aujourd’hui. En transférant un peu de connaissances technologiques, nous avons emmené Embrapa en Afrique. J’étais sûr que la savane africaine avait les mêmes conditions de production que la savane brésilienne. Aujourd’hui le programme n’existe plus. Nous avons construit au Mozambique des usines pour produire des médicaments rétroviraux pour lutter contre le SIDA. Nous avons emmené l’Open University au Mozambique. Tel est le rôle joué par le Brésil. Le programme «Mais Alimento» (Plus de nourriture), que nous avons créé au Brésil pour favoriser les petits producteurs et étendu à l’Afrique et à l’Amérique latine, est désormais arrêté. Le Brésil est isolé et subordonné aux intérêts de Trump de manière honteuse, demandant à Trump de faire des faveurs au gouvernement du Brésil alors qu’en fait, aucun gouvernement ne rend service à un autre gouvernement. Nous avons des politiques d’État par rapport aux autres États et cela doit être respecté. Mais voilà. Le Brésil ne se respecte pas, il est revenu à l’époque de la colonisation.
Brasil Wire | Traduit par Francis Gast.